- HÉDONISME
- HÉDONISMELes données de l’historiographie philosophique sont imprécises, qui permettraient de circonscrire les problèmes relatifs à la naissance du mot et de la notion d’hédonisme. Créé en 1890, par dérivation du grec 兀嗀礼益兀 qui signifie plaisir, ce terme désigne dès lors un ensemble de thèses éparses que la tradition philosophique gréco-latine attribuait aux cyrénaïques. Ces derniers, comme les mégariques par leur méthode agonistique, comme les cyniques par leur ascétisme théâtral, se présentent comme les héritiers de Socrate dont ils soulignent en les accentuant certains traits: ils prônent, quant à eux, la libre participation aux plaisirs et la jouissance sous toutes ses formes. Même si Aristippe, chef de file des cyrénaïques, fut le premier à mettre au centre des préoccupations philosophiques la question du plaisir, il ne fut certes pas le seul: sa doctrine est liée aux développements divers auxquels donnent lieu, dans la spéculation grecque, la pratique et la définition de la sagesse. À ce titre, la désignation du plaisir comme souverain bien devait produire des réactions en chaîne; Platon et ses successeurs immédiats, Aristote et plus tard Épicure prendront position par rapport à ce problème et d’abord à sa formulation cyrénaïque. C’est d’ailleurs à travers ces philosophes que, pour l’essentiel, les thèses d’Aristippe nous sont parvenues. C’est dire qu’elles sont aussi riches qu’insaisissables, à même des textes dont l’interprétation d’ensemble demeure problématique; aussi diverses, contradictoires et confuses que le furent les polémiques qui nous les restituent, avant que la doxographie et l’histoire philosophiques ne les figent en positions antagonistes et ne leur attribuent des noms.Ainsi la notion d’hédonisme semble avoir été créée pour désigner, par opposition à l’épicurisme, une doctrine que la gent cultivée s’autorise à assimiler à une morale préconisant le plaisir, et les seuls plaisirs «grossiers»; alors que l’épicurisme, quoique privilégiant aussi le plaisir, en aurait élaboré une théorie plus «raffinée» et proposerait une sagesse plus digne de l’homme. Trop souvent encore, l’hédonisme est à la pensée cultivée ce que l’épicurisme est à la langue commune qui l’assimile à une sagesse toute de jouissance et couvre de ce mot des comportements sinon répréhensibles du moins hétérodoxes. Cette ambiguïté, ce mouvement de quasi-subversion de sens indique à quel point le plaisir est l’objet d’attitudes et de pensées équivoques; à quel point il entame le jugement, empêche son exercice serein et tranche au vif le nœud des liens que celui-ci entretient, même à son propre insu, avec l’ordre éthique et politique. À cet égard, l’hédonisme ouvre de plain-pied sur les problématiques de la philosophie contemporaine; préciser son sens et sa signification historique conduira aussi à corriger pour partie l’image que notre culture se propose du miracle grec.1. La jouissance et le degré zéro du logosAvec Socrate, le problème éthique est au centre des préoccupations d’une philosophie qui se découvre une vocation à l’universalité, et qui rompt avec la confusion polymathique des penseurs précédents. Pour ses successeurs, la question du plaisir n’est pas d’abord un problème, mais une réponse parmi d’autres, dont la nature est telle qu’elle échappe à la juridiction de la raison et de tout discours. Affirmation vécue d’une évidence irrépressible: le plaisir est le bien suprême. C’est en fonction de lui seul, si cela était nécessaire, que nous pourrions déterminer ce que nous devons faire et qui nous sommes. Cette donnée immédiate n’est le fruit d’aucune spéculation, mais d’une appréciation exquise qu’instaurent le sentiment de plaisir qu’il faut rechercher à tout prix et celui de peine qu’il faut fuir de toutes les manières. C’est dire qu’il n’y a pas de milieu possible entre le plaisir et la douleur ; bien plus, l’oscillation entre ces deux pôles n’est pas constitutive de l’expérience, puisque toute préférence et toute aversion sont désignées en référence non à la douleur, ni au plaisir par différence avec la douleur, mais au plaisir seul. Celui-ci ne comporte donc aucun préalable et ne satisfait qu’au seul impératif de la pure jouissance présente, actuelle, sans mémoire ni avenir, se suffisant dans le mouvement de s’assouvir.La thèse d’Aristippe est radicale: il faut être sensible à sa force irruptive et à son impact polémique plutôt qu’aux contradictions qu’elle engendre. Les philosophes grecs ne s’y sont pas trompés pour qui le scandale hédoniste met à nu les soupçons qui pèsent sur le logos dès lors qu’il se réserve le privilège d’une juridiction inassignable et se présente comme le meilleur moyen d’atteindre le souverain bien. Aussi la doctrine d’Aristippe, puisqu’elle nous parvient par le biais des polémiques et prises de position auxquelles elle donna lieu, s’éclaire moins par elle-même que par cette tradition qui la prend en charge mais désamorce la virulence hédoniste au profit de ce que celle-ci se proposait précisément de dénoncer.De la thèse hédoniste, Platon retient que le plaisir est un mouvement; le plaisir n’est pas absence de douleur ou suppression de la douleur; il est un état positif, essentiellement bon. Aussi trouve-t-il sa place, la cinquième dans l’énumération des éléments dont se compose le souverain bien. Mais il s’agit des plaisirs purs et donc intrinsèquement bons, parce qu’ils ne sont mêlés d’aucune souffrance, c’est-à-dire précédés d’aucun désir: ils ne satisfont à aucun manque et ne renferment donc rien qui soit contraire à leur essence. À ce titre, les plaisirs purs appartiennent à la nature du fini; ils sont stables et limités, et donc d’une certaine manière parfaits. Si le plaisir est constitutif du souverain bien quoique étant un mouvement, ce mouvement n’est donc plus indéterminé, comme l’implique la thèse d’Aristippe, ni enclos dans l’instant du pur jouir; mais le plaisir est un mouvement ordonné, tendant vers sa fin dont il est prise de conscience et manifestation. L’évidente positivité du plaisir, qui pour les cyrénaïques est une évidence constatée, est pour Platon une évidence conquise. Conquise, car le plaisir engendre les simulacres: l’illusion est d’abord inévitable qui donne à éprouver du plaisir quand cesse la douleur. C’est le propre des plaisirs mélangés que d’être toujours liés à leurs contraires, d’autant plus vifs et moins parfaits (participant en cela de l’infini, 見神﨎晴福礼益) que plaisirs et peines se parachèvent en leur contraire, accroissant de concert leur intensité et leur ronde folle. Si la thèse de Platon demeure hédoniste, c’est au prix d’une métaphysique où le plaisir est une essence, et donc une norme pour qui veut l’actualiser et s’en servir comme critère pour fonder une anthropologie et une éthique.2. La pratique du plaisir comme ascèseL’hédonisme vise à la sagesse qui est maîtrise, et d’abord maîtrise de soi. À la différence d’Aristippe, Platon instaure un détour essentiel où la sagesse est à la fois recherche du bien et du vrai qui, s’ils sont coextensifs au cœur de l’Être, ne le sont plus lorsque leur mode d’apparaître est lié au devenir. Platon organise une chasse prudente et difficile à laquelle les cyrénaïques préfèrent la prise. Aristippe, au sujet de ses rapports avec la belle Laïs, tient à préciser: «Je possède, je ne suis pas possédé.» Le bon sens et les philosophes n’en croient rien, qui dénoncent là une conduite scandaleuse, une prétention fallacieuse et ridicule. Mais l’opinion commune et l’orthodoxie philosophique s’identifient par faiblesse et par peur à la belle Laïs en proie à elle-même, et elles sont idolâtres du vrai, du juste, du beau... La jouissance ne saurait être justifiée, puisqu’elle enveloppe tout l’homme pareil à une ville assiégée, puisqu’elle est la condition même pour celui-ci de s’affranchir et de se libérer sans abstraire ni diviser, sans arbitraire, ni conventions, ni préjugés. Aussi, les plaisirs de l’âme et les plaisirs du corps sont logés à la même enseigne: signes de la richesse de la nature et expression d’un optimisme fondamental; car les uns et les autres sont, pour l’homme, pure présence à soi en tant qu’il est nature. Les objets de plaisir sont indiscernables en droit et indifférents en fait; ils ne déterminent donc pas des plaisirs spécifiquement différents. Autrement dit, l’écart qu’instituerait la relation désirante est contracté au bénéfice d’une fusion où sujet et objet rythment leur accord au gré d’un devenir égal à lui-même. Si cet accord paraît délicat à réaliser et problématique comme l’est une dialectique sans fin où l’homme est maître abusé et esclave pervers, c’est parce que l’homme s’inscrit en faux dans l’élément naturel, introduisant dans l’état de nature des contraintes culturelles aussi subtiles qu’envoûtantes et irrépressibles, substituant à la possession du bien des prétentions au «mieux», au vrai, à l’utile, qui sont autant de préventions et de précipitations douloureuses. L’ascèse hédoniste est donc sans degré, abandon qui est prise, coup d’État et de grâce. C’est pourquoi les sciences et la politique sont indifférentes aux cyrénaïques, moins du fait de leur vanité que parce qu’elles sont l’expression subversive d’un état où tout un chacun, maître et esclave tour à tour, perd son identité propre et poursuit le plaisir plutôt qu’il n’en jouit. Au contraire du cynique, Aristippe ne veut pas commander, ni disposer de pouvoirs, car il ne veut pas devenir l’esclave même de la cité, pas plus qu’il ne possède la belle Laïs pour assouvir des désirs.Aristote, dont on a pu dire qu’il professe un hédonisme rationnel, a parfaitement mis en évidence en l’approfondissant cet aspect de la doctrine des cyrénaïques. Sans doute est-ce à la formulation d’Eudoxe de Cnide (mort en 355 av. J.-C.) qu’il se réfère; ce dernier s’en tient à la constatation suivante: tous cherchent le plaisir, fuient la douleur et s’arrêtent au plaisir comme à une fin. Pour Aristote, le plaisir est une manière d’être positive, une qualité non seulement en droit, comme pour Platon, mais en fait; il n’est donc pas dans la poursuite, ni dans la possession: ni simple négation du mouvement ni absence de douleur et repos. Il participe du mouvement, mais d’un mouvement polyphasique, dont le but est de s’accomplir et de parvenir à terme. Rapide, ou lent, le plaisir cède à l’instabilité et à l’imperfection de l’infini, lorsqu’il est pure répétition dans la différence et le non-être, solution de continuité d’un état à l’autre, manifestation de la différence qui est privation, rupture et douleur. Le mouvement, au contraire, trouve dans l’acte sa raison d’être; et l’acte qui le parachève contient donc tout ce qu’il y a en lui de positif et de perfection. Or l’acte est simple et indivis, et les contraires n’ont aucune prise sur lui, car l’acte est autre chose que le mouvement dont il est le terme. Si l’acte manifeste ce qu’il y a de perfection dans le mouvement, le plaisir sera l’expression la plus immédiate de celle-ci. Le plaisir accompagne donc tout acte, signe du plein accomplissement et de la ressaisie des éléments épars du devenir, et, par nature, il perfectionne l’acte lui-même. Cette perfection n’est pas constitutive de l’acte ni contingente; elle est donnée par surcroît comme à la beauté s’ajoute la fleur de l’âge. Aussi le plaisir n’est-il pas ce qui se laisse posséder, mais ce qui s’offre en tout bien et tout honneur à qui travaille à devenir qui il est.3. Grandeur et décadence de l’hédonismeL’influence de penseurs aussi vigoureux et habiles que Platon et Aristote ne pouvait manquer d’infléchir et de corroder de l’intérieur les thèses du cyrénaïsme primitif. Platon, s’attachant à garantir au plaisir un statut positif, préserve par là même le souverain bien de la contamination des plaisirs qui participent de l’infini et de la douleur; le détour par le savoir est dès lors essentiel, qui en appelle à une métaphysique et à une anthropologie. Aristote semble faire l’économie de ce détour, mais le caractère indissociable de l’acte et du plaisir qui l’accompagne et le perfectionne fait de la pratique ou recherche de la vérité, et de l’acte de connaître en particulier, l’équivalent de la vertu elle-même, du moins telle que l’entendaient les cyrénaïques. Platon et Aristote ont donc en commun d’effacer ou d’estomper la portée réelle de la thèse d’Aristippe: celui-ci ne vise pas à proposer une morale, mais une sagesse dont l’amoralité constitue le fer de lance dirigé contre la spéculation philosophique et sa prétention à construire rationnellement un idéal de vie. Somme toute, l’hédonisme radical, seul digne de ce nom, suggère que l’amoralité a partie liée avec l’impensable et l’irrationnel, et les discours et le savoir avec le pouvoir et les institutions.La lignée cyrénaïqueAussi les épigones d’Aristippe sont-ils amenés insensiblement soit à adultérer la notion de plaisir en faisant de celle-ci l’objet d’une représentation et d’un savoir pondéré, soit à tirer les conséquences – ce qui est encore spéculer – qu’entraîne le privilège injustifié qui est accordé à cette notion. S’il n’y a rien de vrai que l’impression subjective individuelle, il n’existe pas non plus de conditions objectives de la jouissance; celle-ci est circonstancielle et le bonheur, somme des plaisirs, ne peut être atteint. Hégésias, vers le IIIe siècle avant J.-C., sombre dans une sagesse pessimiste: à l’adhésion franche et massive au plaisir se substitue une quête du bonheur sous la forme de calculs et de combinaisons sordides des plaisirs et des peines. Dans cette lignée s’inscriront les «hédonistes» de l’époque moderne. Jeremy Bentham, par exemple, associe aux thèses hédonistes les premières versions des principes économiques de l’utilité, et John Stuart Mill la doctrine pragmatiste; dans leur optique, l’homme s’oriente naturellement vers la recherche du plus haut niveau de satisfaction pour un effort donné; la détermination rationnelle du profit maximal réalise de surcroît un optimum social. De telles considérations, en raison des difficultés théoriques qu’elles soulèvent, subvertissent l’enseignement cyrénaïque primitif, ou du moins le discréditent. Hégésias en vient à pérorer sur les injustices du destin, à professer l’abstinence, l’absolue tolérance et une résignation dont l’aboutissement logique, la forme extrême, sera le suicide. À la même époque, si le plaisir pour Anniceris demeure le bien suprême et accuse encore le discrédit de la raison, un recours contre les conséquences extrêmes du plaisir nécessite des palliatifs; aussi Anniceris recommande-t-il de soigner l’éducation en suscitant chez les individus de bonnes habitudes et l’intérêt pour autrui et la patrie. Son disciple, Théodore l’Athée, laisse entrevoir l’influence stoïcienne: il insiste sur la supériorité du sage, soulignant la nécessité du détachement vis-à-vis des maux comme des biens; mais son enseignement conserve de l’hédonisme primitif une certaine virulence critique qui le distingue des stoïciens et l’apparente aux cyniques; il passe pour avoir nié l’existence des dieux et inspiré, en cela, Épicure.La vertu épicurienneL’expression la plus nette de cette décadence reçoit sa forme achevée dans la doctrine épicurienne qui oscille entre l’hédonisme pur, l’hédonisme rationnel et l’eudémonisme. Le plaisir est constitutif et fin essentielle de l’homme; mais encore faut-il savoir s’en saisir et le faire durer par un effort de réformation de l’imaginaire et par l’éducation de la volonté; car le plaisir, en dernière analyse, consiste dans l’équilibre corporel, toujours instable, qu’il faut maintenir et rétablir sans cesse. L’intervention de la raison est donc nécessaire qui fixe les limites que le plaisir doit atteindre mais ne pas dépasser; l’intervention de la raison ne modifie pourtant pas la nature du plaisir; sa fonction s’applique exclusivement aux données sensibles dont elle doit soustraire les contenus à la mobilité du devenir en les trans-formant en plaisirs toujours disponibles, petites éternités de passage qu’il est loisible au sage de remémorer ou d’anticiper lorsque la douleur présente se fait trop insistante. La vertu épicurienne, c’est donc la santé du corps qui, soustraite à la fuite du temps par un jeu réglé de substitution, les unes aux autres, des images intérieures, permet au sage de se suffire à lui-même. Le bonheur est à la portée de tous et le paradis en nous: libre-pensée assujettie, mais exaltée par la force morale; immoralité prométhéenne que tempèrent les spéculations savantes qui sédimentent la théorie du plaisir et rendent le plaisir avouable et praticable. En cela, et sur bien des points de détail, Épicure est l’héritier de Platon et d’Aristote plutôt que d’Aristippe. L’apologie épicurienne du plaisir – s’abstenir pour jouir est un plaisir de la raison – affirme néanmoins son originalité parce qu’elle préconise moins un retour à la nature ou l’organisation harmonieuse de celle-ci qu’elle n’exalte l’homme et l’homme seul. À ce titre, elle constitue pour les spéculations actuelles le chemin obligé qui conduit à ressusciter la saveur barbare et enivrante de l’hédonisme primitif. L’hédonisme aura fait long feu, mais sous les cendres épicuriennes longtemps encore souffrira, au cœur de la philosophie, ce faible feu.4. L’ordre de la jouissance et sa lettreL’hédonisme d’Aristippe, grec mais aussi africain, laisse parler haut, au sein du rationalisme conquérant, les forces dites occultes parce que occultées et rejetées dans l’inconscient, qui portent atteinte à la souveraineté de la raison et rompent avec les orthodoxies qu’elle prétend imposer. La pensée occidentale s’est appliquée à réduire, ou du moins à juguler, ces pulsions aussi décisives qu’irrationnelles. Mais, aujourd’hui plus que jamais, le plaisir et ses pompes font surface et occupent le devant de la scène spéculative; non sans raison, car l’évolution accélérée des mœurs et l’extrême diversité de celles-ci manifestent en deçà de nos chaînes de raisons un ordre différent (un désordre pour certains), une organisation spécifique des loisirs et plaisirs, et contribuent à mettre largement au centre de nos préoccupations le plaisir, ses exigences, ses avatars, ses impasses, bref son mode de paraître et d’exister. Cela conduit peut-être même à mettre en situation de plaisir nos préoccupations et la pensée dans son exercice. Avait-on oublié que l’esprit pousse des racines profondes dans un terreau existentiel? Nietzsche, Freud et d’autres le rappellent avec insistance et semblent prendre ainsi la relève de l’hédonisme.Deux thèses fondamentales caractérisent ce renouveau. On peut considérer d’abord que le plaisir n’est pas le fruit de l’équilibre de l’organisme, mais il en est la cause nécessaire sinon suffisante. Distinct des thèses de Platon, d’Aristote, d’Épicure même, l’hédonisme en appelle alors à une théorie de l’homme saisi en le plaisir, c’est-à-dire à une économie qui ne contrôle ni ne règle les objets de jouissance et les conditions de toute jouissance possible mais qui circonscrit, sans l’investir par la pensée rayonnante, la position de ces objets et détermine leur statut. Aussi le plaisir est-il la propriété pour un lieu du corps d’être le siège d’une différence immédiatement accessible entre plaisir et déplaisir, et de pouvoir recueillir la marque de cette différence. Ainsi fixée dans son écart irréductible, cette dernière signe, pour la pensée, l’impossibilité de penser et ordonne le discours comme un ensemble d’alibis et un détour prévaricateur.La seconde thèse de l’hédonisme contemporain consiste à dénoncer la philosophie comme une superstructure contraignante et tyrannique qui se déploie contre l’évidence au lieu de se réaliser en son cœur, à savoir le monde de la sensation et les intermittences affectives. Toute représentation comporte en son dedans un croire non réductible au sens, puisqu’il est origine de tout sens, et que la pensée claire et distincte ne peut que réduire. Ainsi Nietzsche retrouve une certaine virulence hédoniste lorsqu’il dénonce la philosophie comme un vaste malentendu avec le corps et qu’il en appelle à une histoire des affects et à une sémiotique pulsionnelle. Pour Freud, cet impensé ou différence irréductible est l’essence même de la pulsion sexuelle, puisqu’il y a un privilège de la zone génitale dans l’ordre de l’inscription de cet impensable et du plaisir qui explore l’ensemble du corps, ou des zones érogènes, comme on décrypte une stèle hiéroglyphique. Comme tout savoir et toute possibilité d’atteindre la vérité s’enracinent là, il s’agit de comprendre comment le plaisir serait assimilable à un principe contrôlant le fonctionnement mental, c’est-à-dire de mettre en évidence une économique et une topique articulant les deux modes d’être de l’objet de jouissance: présence de la réalité hallucinée et absence de l’objet de satisfaction.Paralysie de la pensée ou assignation de bornes, peut-être l’hédonisme se contente-t-il d’isoler un point de jonction problématique où la pensée créatrice se substitue mystérieusement à la pensée critique, comme si la fonction critique de l’esprit avait partie liée avec le plaisir. Ou bien le plaisir est-il ce «du-croire» qui autorise la pensée à substituer des valeurs d’usage à des valeurs d’échange sans pour autant lui permettre d’oublier ses origines véritables, et sa finalité essentielle: apprendre à vivre et survivre, apprendre à mourir? Autant de questions que pose l’hédonisme; et par-delà son impact éthique, autant de réponses et de solutions que tenteront les penseurs pour circonscrire cette donnée irréductible: le plaisir, cet impensable; ou pour s’en servir comme armes de combat dont l’effet ne se mesure pas tant à la prétendue vérité du discours qu’ils produisent qu’aux effets que produit le discours (ou la simple attitude scandaleuse et exemplaire qui s’est substituée à lui), et ses aptitudes à manifester la vie, en la changeant et la réinventant.• 1877; du gr. hêdonê « plaisir »♦ Philos. Doctrine qui prend pour principe de la morale la recherche du plaisir, de la satisfaction et l'évitement de la souffrance. ⇒ eudémonisme.♢ Psychan. Recherche du plaisir par investissement de la libido sur certaines parties du corps, au cours du développement normal de l'enfant. Hédonisme oral, anal, génital.♢ Écon. Conception de l'économie selon laquelle toute activité économique repose sur la poursuite du maximum de satisfactions avec le moindre effort.hédonismen. m.d1./d PHILO Doctrine qui fait de la recherche du plaisir le fondement de la morale. L'hédonisme d'Aristippe de Cyrène.d2./d PSYCHAN Recherche du plaisir orientée vers une partie du corps, au cours du développement de la sexualité. Hédonisme oral, anal, génital.d3./d ECON Doctrine qui fait de la recherche du maximum de satisfactions le moteur de l'activité économique.⇒HÉDONISME, subst. masc.Doctrine philosophique qui considère le plaisir comme un bien essentiel, but de l'existence, et qui fait de sa recherche le mobile principal de l'activité humaine; p. ext., tendance à rechercher le maximum de satisfactions. La considération exclusive du repos; honteux hédonisme dont nous recueillons les fruits (RENAN, Avenir sc., 1890, p. 432). Il considérait la conquête de la joie comme le but de sa vie : « Mais c'est de l'hédonisme, mon pauvre ami », — lui rétorquait l'abbé (LA VARENDE, Roi d'Écosse, 1941, p. 111). L'hédonisme de France m'indigna. Il ne cherchait dans l'art que d'égoïstes plaisirs : quelle bassesse! (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 189) :• Peut-être que le sens du plaisir ne peut être retrouvé qu'au terme d'une sagesse, par delà le faux dilemme de l'hédonisme ou du rigorisme, lequel est une solution de peur et de fuite devant le plaisir et le corps.RICŒUR, Philos. volonté, 1949, p. 99.— Spécialement♦ ÉCON. POL. ,,Conception de l'économie selon laquelle, la raison et la fin de toute activité économique n'est au fond que la poursuite du maximum de satisfactions`` (ROMEUF t. 1 1956).♦ PSYCHOL., PSYCHANAL. ,,Caractère de jouissance des fixations de la libido sur les parties du corps qu'elle investit lors des stades du développement de l'enfant : hédonisme oral-anal-génital`` (LAFON 1963).Prononc. : [
]. Étymol. et Hist. 1877 philos. (LITTRÉ Suppl.); 1949 écon. pol. (J. Romeuf ds ROB. 1957); 1960 psych. hédonisme oral, anal (POROT). Dér. sav. du gr.
« plaisir, agrément, jouissance », dér. de
« se réjouir, éprouver du plaisir »; suff. -isme. Fréq. abs. littér. : 14.
hédonisme [edɔnism] n. m.ÉTYM. 1877, in Littré, Suppl.; du grec hêdonê « plaisir », de hêdesthai « se réjouir », de hêdein « réjouir, charmer ».❖1 Philos. Doctrine qui prend pour principe de la morale la recherche du plaisir et l'évitement de la douleur. || Faire de l'hédonisme la règle de sa vie. || L'épicurisme est souvent confondu avec un hédonisme. ⇒ Eudémonisme. — Spécialt. || Les philosophes de l'école de Cyrène, théoriciens de l'hédonisme intégral.1 L'hédonisme a fait du plaisir l'objet à approuver comme bien (…) et, corrélativement, de la douleur le mal à condamner et par suite à écarter (…)R. Le Senne, Traité de morale, p. 375-376.2 Même aujourd'hui, en pleine Passion, je n'attends rien d'autre, et je n'obtiens rien d'autre que la paix (…) Hédonisme inguérissable.F. Mauriac, Bloc-notes 1952-1957, p. 74.♦ (Mil. XXe). Psychan. Recherche du plaisir par investissement de la libido sur certaines parties du corps, au cours du développement normal de l'enfant. || Hédonisme oral, anal, génital.2 (1956, Romeuf). Écon. « Conception de l'économie selon laquelle la raison et la fin de toute activité économique n'est au fond que la poursuite du maximum de satisfactions » (J. Romeuf), avec le moindre effort.❖CONTR. Ascèse, ascétisme.DÉR. Hédonique, hédoniste.
Encyclopédie Universelle. 2012.